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Désirs d'Avenir 76

Socialistes, renouons avec nos rêves européens

24 Août 2009 , Rédigé par Yvon GRAIC Publié dans #Débat

http://www.mediapart.fr/sites/all/themes/mediapart/mediapart/images/mediapart_head.png Edition : Socialisme hors-les-murs

Par  La rédaction Mediapart  , Bernard Poignant  maire de Quimper et ancien président du groupe socialiste au parlement européen.

Tout est déréglé au Parti socialiste depuis le 21 avril 2002. Il était persuadé d'avoir le meilleur bilan, le meilleur candidat face au plus mauvais de la droite et pourtant une partie de son électorat s'en est éloigné tout en pleurant le soir même cette absence. En 2007, c'est la candidate qui écarte le Parti socialiste autant qu'elle peut, certaine qu'il est un boulet pour sa campagne et trop sûre de pouvoir gagner seule face au plus inquiétant des candidats de la droite. Nouvelle défaite baptisée pourtant victoire.

Heureusement, il y a les succès locaux des deux printemps de 2004 et de 2008. Mais attention aux illusions : elles ne sont plus un tremplin pour le pouvoir national, mais la traduction d'une nouvelle répartition des tâches dans le pays : à la gauche les institutions territoriales ; à la droite les institutions nationales. Les électeurs mettent en place une cohabitation d'un nouveau genre.

A moins qu'il ne faille chercher une autre explication : soit que les socialistes aient tout donné d'eux-mêmes et n'ont plus rien à apporter à la France ; soit qu'ils n'aient pas encore trouvé le bon chemin dans le XXIe siècle. La social-démocratie est d'abord un compromis passé dans le cadre national entre le capital et le travail, entre l'État et le marché. Mais ce cadre explose depuis plusieurs années. L'économie est de plus en plus mondialisée ; la construction européenne a mis en place une souveraineté de plus en plus partagée et les socialistes doivent appliquer des décisions prises ailleurs ; même la décentralisation dépouille une partie des prérogatives de l'État.

Précisément, dans ce décor brièvement dressé, la question européenne est une bonne mesure de l'adaptation des socialistes à l'état actuel. La période 2004-2009 marquera durablement leur rapport schizophrénique à l'Union. Portés au pinacle lors des élections de 2004, ils sont cloués au pilori par celles de 2009. Entre les deux, la pire des divisions étalée longtemps et au grand jour. Certes ce n'était pas la première fois : déjà en 1954, pour la Communauté européenne de défense, mais il n'y eut ni référendum interne, ni référendum national. Encore en 1992, avec le départ des amis de Jean-Pierre Chevènement, mais toujours sans référendum interne et François Mitterrand gagnera le référendum national. Celui-ci avait compris très tôt le malaise socialiste face à l'Europe dans le cadre de l'alliance avec le Parti Communiste. Dès 1978, il déclare : « L'Europe sera socialiste ou ne sera pas ». Il n'y croyait certainement pas mais la formule rassemblait. Plus tard, il en trouvera une autre, plus présidentielle : « La France est ma patrie, l'Europe est notre avenir ». Qui peut s'opposer à cela ?

Sans leader charismatique, les socialistes sont ballottés, tiraillés en eux-mêmes : s'ils sont trop engagés avec leurs camarades européens, ils craignent d'abandonner en route leur socialisme  à la française ; s'ils sont trop socialistes modèle tricolore, ils risquent de s'éloigner de leur engagement européen, en particulier au sein du Parti des socialistes européens ou de son groupe parlementaire à Strasbourg. Soit ils jouent l'influence en leur sein et ils doivent évoluer ; soit ils campent sur la ligne Maginot de l'exception et ils s'isolent. Sur ce terrain européen, il y a tant de contradictions internes qu'il faudra bien les solder un jour. Cela exige plusieurs évolutions qui ne sont pas que programmatiques, mais idéologiques et comportementales. Ainsi du rapport à l'extrême gauche, communiste de Mélenchon ou gauchiste de Besancenot. On ne le redira jamais assez car c'est une maladie ancienne : le communisme était l'étalon de la gauche et le reste pour certains, comme s'il n'avait pas été un immense échec historique sous ses trois versions : léniniste, stalinienne, trotskyste. La social-démocratie doit s'affirmer pour l'économie de marché face aux économies communistes et pour la régulation face à l'économie capitaliste. La querelle sur la « concurrence libre et non faussée » a fait éclater cette crainte d'être débordé ou d'être accusé. Le vote des socialistes français au Parlement européen sur la directive dite « Bolkenstein » a illustré en grandeur nature cette situation. La Confédération européenne des syndicats est venue devant les députés leur demander de voter pour la nouvelle version qui leur donnait satisfaction. Tous l'ont fait sauf nous, les Français, parce que le Groupe communiste notamment le faisait, d'où la peur d'être montrés du doigt, comme si était intégré le vieux slogan de social-traitre. Deux Socialistes ont eu l'audace et la clairvoyance de ne pas suivre : Michel Rocard et Gilles Savary.

Le rapport à la propriété des entreprises est encore un thème à éclaircir. Il n'est pas si résolu que cela. Depuis le XIXe siècle, le socialisme avait un horizon simple et une solution radicale : quand les moyens de production et d'échanges seront propriété publique, tout sera parfait. La première déclaration de principes de 1905 le dit dans son article I : « Le Parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange, c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste ». C'est dit en peu de mots. Celle de 1946 écrit autrement la même chose : « Le Parti socialiste a pour but de réaliser la substitution au régime de la propriété capitaliste d'un régime où les richesses naturelles comme les moyens de production et d'échange deviendront la propriété de la collectivité ». La Déclaration de 1969 prolonge la même idée, reprise au congrès d'Epinay de 1971. « Le socialisme se fixe pour objectif le bien commun et non le profit privé. La socialisation progressive des moyens d'investissement, de production et d'échange en constitue la base indispensable ». Celle de 1990 commence à faire évoluer les textes puisque le Parti socialiste se dit « favorable à une société d'économie mixte » et affirme ne pas « méconnaître les règles du marché ». La dernière, en 2008, déclare les socialistes partisans d'une « économie sociale et écologique de marché régulée par la puissance publique ». Tel est le chemin parcouru, au moins dans les textes, pas forcément dans les têtes. Cela donne deux vagues de nationalisation en 1936 et 1981, celle de 1946 étant à distinguer car relevant de la reconstruction du pays. Depuis, plus rien et même le contraire après les victoires de 1988 et 1997.

Malgré cette évolution, il est toujours demandé au Parti socialiste de faire son « Bad-Godesberg », du nom de cette ville allemande au sud de Bonn où s'est tenu du 13 au 15 novembre 1959, le congrès extraordinaire de la social-démocratie allemande. La résolution adoptée est, en effet, très nette puisqu'elle affirme que l'objectif du « passage de la propriété privée à la socialisation des moyens de production est abandonné. Les bases de la politique économique sont désormais le libre choix de la consommation et du lieu de travail, ses éléments essentiels la libre concurrence et l'initiative privée ». Il faut reconnaître que c'est plus clair que les textes français.

Sur le plan pratique, les positions du Parti Socialiste restent confuses et schizophréniques. Le Parti reste marqué par sa culture issue de cette longue histoire qui veut qu'un service public soit rendu par le secteur public en position de monopole, lui-même assuré par une entreprise publique totalement étatisée, employant des fonctionnaires publics ou leurs équivalents. Même si des secteurs entiers de la vie quotidienne ne fonctionnent pas sur ce schéma : ni l'alimentation des Français ou leur logement, ni l'éducation car il existe un secteur privé associé, ni la santé largement organisée en professions libérales, ni la culture heureusement. Dernier exemple en date : le débat autour du statut de La Poste. Tout le courrier sera en concurrence à compter du 1er juillet 2011. C'est une décision et du Conseil des Ministres européen et du Parlement européen. Les socialistes français s'y sont opposés en vain. La décision s'applique donc mais a des conséquence sur notre Poste si on veut qu'elle reste puissante en Europe. Il lui faut beaucoup d'argent et son changement de statut lui permettra d'en obtenir. Horreur suprême : le Parti Socialiste demande un référendum ... comme Besancenot. En même temps, on entend discrètement dire que la décision européenne oblige à cette modification et qu'en cas d'alternance on ne reviendra pas sur elle. Alors ... schizophrénie parfaite !

Sur d'autres plans, quelques clarifications autoriseraient un meilleur ancrage chez les socialistes européens et une meilleure compréhension par ceux-ci.

Ainsi sur le plan institutionnel, tout est binaire en France à partir du second tour de l'élection présidentielle. Or l'esprit parlementaire domine en Europe et non l'esprit présidentiel. Bâtir une coalition pour diriger un pays n'est pas en soi un sacrilège. Le cas le plus visible et le plus connu en ce moment est l'Allemagne, mais il y en a bien d'autres. Tant que les socialistes chercheront à transposer aux 26 autres pays leur schéma, ils ne seront pas suivis.

A chaque début de législature au Parlement européen se pose la question de l'accord, dit technique, pour faire alterner la présidence de cette institution à mi-mandat. Cela se fait entre les deux premiers groupes, rien de plus normal, tous les autres étant représentés au bureau. Ce système illustre l'esprit européen : l'Union n'appartient à aucun parti, à aucun camp. C'est notre bien à tous. Les socialistes français s'y opposent, se trouvent isolés, sûrs de leur bon droit ; ils ont tort mais ils persévèrent dans cette erreur.

Il faut dire que notre rapport à l'État nous ramène souvent à notre spécificité. Notre État est unitaire, encore centralisé, au pouvoir très concentré en un seul lieu, mais il est le garant théorique de l'égalité. Tout vient ou revient à lui, la moindre fermeture de classe, le moindre conflit social qui se durcit. Or, autour de nous, les pays voisins n'ont pas du tout la même organisation. Il y a des pays fédéraux comme l'Allemagne et la Belgique, des pays à provinces très fortes voire autonomes comme l'Espagne et l'Italie, un pays à forte dévolution de pouvoirs et de compétences pour l'Écosse, le Pays de Galles, l'Irlande du Nord : Le Royaume-Uni. Limitrophe mais hors de l'Union, il y a un pays confédéral à 26 cantons libres : la Suisse. Seul le Luxembourg nous ressemble mais il est bien petit. Beaucoup de ces États reconnaissent qu'ils sont constitués de plusieurs nations. Notre organisation est un aspect de notre identité, le cadre de la construction de notre nation. Un peu de décentralisation et de moyens en direction de nos régions ne ferait pas de mal pour nous mettre au diapason européen. Personne ne nous demande cependant de changer mais ne nous prenons pas pour le modèle.

Dernier exemple d'un rapport nouveau à travailler : nos relations avec les États-unis d'Amérique. Qu'il était bien commode ce Bush ! Lui au moins étant le mal, donc nous forcément le bien. Obama change tout puisqu'on a voté pour lui ! Nos partenaires européens, on peut dire les 26, sont très attachés à l'Alliance atlantique et à la relation étroite avec les Etats-Unis. Ils peuvent être reconnaissants à ces derniers de les avoir libérés soit des nazis, soit des communistes. Ils sont une garantie face à la Russie. Ils appartiennent à la famille des pays démocratiques comme nous. Ils ont accueilli des vagues d'émigrés européens qui forment chez eux des communautés toujours vivantes. Un anti-américanisme trop appuyé, trop voyant, est contre-productif. Comme l'a dit quelqu'un, il est « le socialisme des imbéciles ».

Le Parti socialiste doit donc reprendre tous ces chantiers après la funeste période 2004-2009. Pas pour la faire oublier, au moins pour éviter qu'elle recommence. Pas pour cacher les désaccords, mais pour affirmer aux yeux des citoyens quelle direction il prend. A chacun ensuite de « se soumettre ou de se démettre ». Le Parti socialiste peut mettre sa tête dans le sable sur toutes ces questions, faire l'autruche, dire que ça peut attendre. Il aurait tort car cela concerne aussi 2012.

Il serait donc judicieux de renommer un secrétaire national aux affaires européennes : il n'y en a plus depuis novembre 2007. Il serait utile de remettre en place la commission « Europe » : elle ne s'est pas réunie depuis 2003 ! Il serait de bon ton de consacrer une Convention ou un Conseil National aux seules questions européennes, avec la présence de nos camarades européens, qui ne sont pas moins socialistes que nous. Parenthèse qu'il est bon de connaître : les députés européens démocrates italiens ont rejoint le groupe parlementaire socialiste à Strasbourg. Traduction française : MoDem et PS siègent en même temps. Il faut croire que tout est possible dans la vie. Ça n'a l'air d'effrayer personne !

Gardons en mémoire la période 1989-1992. Elle a bouleversé l'histoire du monde : fin du communisme, effondrement du dernier Empire : l'URSS, premières guerres irakiennes et yougoslaves, arrivée de puissances nouvelles sur la scène mondiale, dernière poussée fédérale de l'Europe avec sa monnaie unique. Et maintenant ? Que devient le fédéralisme, position permanente des socialistes ? Faut-il des frontières à l'Union ? Quels rapports entretenir avec les autres puissances ? Faut-il s'en tenir au marché et clore là l'histoire de l'Union ouverte en 1950 ?

L'Europe a été introduite dans les deux dernières Déclarations de principes du Parti Socialiste en 1990 : « Le Parti socialiste fait le choix de l'Europe pour donner aux nations qui la composent les moyens d'affronter les défis de l'avenir. La communauté européenne, à condition qu'elle ne réduise pas à un simple marché, en sera un élément moteur ». En 2008 : « le Parti socialiste est un parti européen. Il agit dans l'Union européenne qu'il a non seulement voulue de longue date, mais contribué à fonder. Il revendique le choix historique de cette construction et la place dans la perspective d'une Europe politique, démocratique, sociale et écologique ». Une Déclaration doit se traduire en actions, des principes ne peuvent pas rester des vœux pieux. C'est le moment de leur donner corps et de reprendre le chantier européen. Sinon, on se contentera de réagir aux propositions ou visions des autres et on fera du coup par coup.

Napoléon disait : « Je gagne mes batailles avec les rêves de mes soldats ». Si les socialistes ne renouent pas avec leurs rêves européens, ils perdront toutes les batailles européennes.

 

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M
Curieux quand même que ceux qui croient être les penseurs au PS ne se remettent pas, eux-mêmes, en question. Ah ! ils ont de grandes idées comme B. Poignant "il faut que", il "aurait fallu que" il "faudra que".... et puis, il est toujours aisé de mettre sur le dos de quelques personnes - on voit tout de suite où se situe ce militant - la responsabilité, l'échec surtout quand certains, comme lui, tire à boulet rouge sur les "copains".... Personne n'a fait le bilan, la synthèse de la défaite de Jospin. C'est resté dans les cartons.... Il faut protéger l'improtégable ! Ce n'est pas avec de tels propos et prises de position que Poignant oeuvrera pour l'unité. L'unité elle était d'abord à apporter à S. Royal aux dernières présidentielles mais ces Messieurs avec leur égo surdimensionné n'ont surtout pas voulu lui apporter leur caution. C'est moche et surtout il faut cesser les invectives qui n'apportent rien mais qui discréditent celui qui les écrit.
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E
Pas d'accord ! Ségolène Royal n'a pas écarté le PS c'est le PS qui ne l'a pas soutenue. Il est un peu facile de mettre sur son dos ce qui ne vas pas. Pourquoi ne rien dire, ou presque, sur la défaite et le comportement de Jospin ? Le PS va mal, très mal mais les magouilles du Congrès y sont certainement pour beaucoup aussi. Les soutiens de Ségolène sont outrés quand quelqu'un comme ce Monsieur ose l'attaquer et lui qu'a-t-il fait pour la soutenir en 2007 ? et les autres qui ont eu un comportement indigne lui demandant l'un "dallere à sesq casseroles", l'autre "qui allait garder les enfants" ? Heureusement le sieur Poignant n'est que peu dans ce PS en décrépitude et, si tout un chacun avait suici Ségolène, nous n'en serions pas là maintenant. Il faut aussi faire votre mea culpa, monsieur.
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