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Désirs d'Avenir 76

Primaire écologiste: encore un flop des sondages et des médias

30 Juin 2011 , Rédigé par Yvon GRAIC Publié dans #Sondages

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| Par Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg

 

Cette «Une» du journal Libération, Eva Joly ne la digère pas. Le 20 juin dernier, sur la base d'un sondage de l'institut Viavoice, le quotidien titrait: «Primaire écologiste – L'avance de M. Hulot». Sur le dessin, l'ancien animateur surclassait l'ex-magistrate, une paluche paternaliste sur son épaule, suggérant un score sans appel.

 

Huit jours plus tard, avec 49,75% des voix au premier tour, Eva Joly prend sa revanche sur tous les médias qui ont déclaré Nicolas Hulot favori, en extrapolant une série de sondages. Le Journal du Dimanche, par exemple, est ridiculisé, qui avait jugé le match «plié» dès février au bénéfice de l'ancien animateur d'Ushuaïa, au vu d'un sondage Ifop. Confronté au score d'Eva Joly, l'auteur de l'article du JDD de l'époque, Bruno Jeudy, reconnaît d'ailleurs «un plantage magistral».

A l'orée de la primaire socialiste, la députée «royaliste» Delphine Batho, députée en pointe dans la dénonciation des excès sondagiers, tire ainsi la sonnette d'alarme: «(Ces résultats) résonnent comme un avertissement utile», à l'égard «des commentateurs (qui) tirent souvent des conclusions hâtives des enquêtes d'opinion.»

A posteriori, Viavoice et Libération défendent pourtant leur travail, basé sur une étude effectuée par téléphone auprès d'un échantillon de 1.005 personnes. Que disait-elle? Que 52% des Français préféraient voir Nicolas Hulot représenter Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à la présidentielle, contre 26% pour Eva Joly. Le rapport de force s'amplifiait encore chez les «sympathisants» écologistes: l'ancien animateur grimpait à 63%, contre 28% pour l'ex-magistrate.

Mais une petite note de bas de page, publiée par Libération, révélait la taille de ce sous-échantillon: «133 personnes» seulement! François Miquet-Marty, directeur associé de Viavoice, n'y voit aucun problème statistique: «Il est possible d'en tirer des conclusions», assure-t-il.

Reste que ce sous-échantillon n'offrait, au mieux, que des indications sur les «sympathisants» écolos, c'est-à-dire les personnes qui répondent EELV quand on leur demande de quel parti elles se sentent le plus proches. Or ces «sympathisants» ne sont en aucun cas représentatifs des 30.000 électeurs inscrits à la primaire écologiste (visiblement plus radicaux, plus à gauche). Pour avoir une chance de toucher ce petit noyau-là, les enquêteurs de Viavoice auraient dû passer bien plus de coups de fil, et Libération dépenser beaucoup plus d'argent... On comprend le choix économique opéré. Mais à l'arrivée, l'étude n'a jamais sondé le vrai corps électoral de la primaire d'EELV.

Si le journal n'a pas menti, il n'a pas non plus pris soin d'expliciter ce «détail» à ses lecteurs, laissant planer une certaine ambiguïté. «L'ancien animateur a pris une longueur d'avance sur sa rivale, en vue de la primaire écologiste, selon notre sondage Viavoice», affirme par exemple le sous-titre, en page 2.

Chez Viavoice, François Miquet-Marty se montre agacé par nos remarques: «Dans la note qui accompagne notre sondage (publié sur le site de l'institut, ndlr), nous avons été clairs sur la nécessité d'opérer une distinction entre les millions de sympathisants écologistes et les 30.000 votants», affirme-t-il. Dans ce document, Nicolas Hulot est déclaré «favori de l'opinion» et des «sympathisants», pas des participants au scrutin écolo. «Ça n'a donc pas de sens que vous compariez aujourd'hui notre sondage aux résultats du vote.»

Certes, mais Libération n'a-t-il pas extrapolé, voire dérapé, en faisant le raccourci sur sa Une: «Primaire écologisteL'avance de M. Hulot?» François Miquet-Marty se garde bien de commenter les choix de son client.

 

A Libération, Paul Quinio, directeur adjoint de la rédaction, répond lui par la négative. «Vous auriez raison de nous interpeller si on avait titré: “L'avance de M. Hulot dans la primaire écologiste”. Mais là, ce que dit la manchette, c'est que Nicolas Hulot est favori dans l'opinion en général. Le chiffre qu'on retient en Une, c'est bien “52% des Français souhaitent que l'ex-animateur soit candidat”. Et ce sondage, il est juste, il est vrai.» Aucun problème, donc!

Une telle publication n'a-t-elle pas influencé, dans un sens ou dans l'autre, le choix des votants? «Absolument pas, répond le journaliste. Les lecteurs sont trop intelligents pour ça, je n'ai jamais pensé mon métier comme prescripteur d'opinion.» Et Paul Quinio de souligner le traitement égalitaire réservé aux deux candidats en pages intérieures, avec deux interviews et deux photos de même taille qui se font face, «dans un strict parallélisme des formes». Fermez le ban?

Sur le site internet du JDD, le jour même, l'étude est pourtant reprise en ces termes: «Novice en politique, Nicolas Hulot devance (...) très largement Eva Joly dans la course à l'investiture écologiste pour l'élection présidentielle de 2012.» Sur le site de France Soir, l'accroche est tout aussi fausse: «Eva Joly, Nicolas Hulot: Qui est le meilleur? (...) Un sondage Vivavoice annonce que l'ex-animateur de TF1 arriverait en tête avec 52% des voix contre 26% pour la députée européenne Eva Joly...» L'introduction d'un sondage pareil dans la machine médiatique, à dix jours de la primaire, ne pouvait rester neutre, ni sans effet.

 

 

Libération et Viavoice ne sont pas les seuls à avoir induit en erreur jusqu'aux dirigeants d'Europe-Ecologie, persuadés jusqu'au dépouillement que Nicolas Hulot allait l'emporter haut la main.

Le 6 février 2011, alors que Nicolas Hulot n'est même pas encore candidat à la primaire, le Journal du Dimanche (JDD) publie un sondage réalisé par l'Ifop. Un article l'accompagne, qui commence ainsi: «Le coup de grâce. Le sondage Ifop-Le Journal du Dimanche est sans appel. La candidature d'Eva Joly à la présidentielle part en vrille et celle, plus que probable, de Nicolas Hulot séduit les sympathisants d'Europe Ecologie-Les Verts. Selon l'enquête Ifop, le match entre les deux figures écolos semble “plié”: 61% des Français plébiscitent une candidature Hulot, contre 30% pour Joly. Le résultat est encore plus rude chez les sympathisants Verts puisque l'animateur de TF1 réunit 64% des suffrages tandis que l'ex-magistrate n'en convainc que 34%. La primaire, si primaire entre eux deux il y a, sera donc vite vue.» 

Joint mercredi soir, Bruno Jeudy reconnaît un «plantage magistral». Et admet: «Quand on relit, ça fait rire.» Selon lui, l'erreur tient «à la nature du corps électoral, très mystérieux. Personne ne savait qui étaient les 10.000 à 15.000 coopérateurs venus s'inscrire sur les listes en plus des 20.000 militants. C'était un corps électoral insondable. Et on n'a pas été assez prudents. 750.000 personnes avaient signé il y a quelques années le pacte écologique de Nicolas Hulot. Je me suis dit: “S'il n'est pas foutu de faire adhérer quelques milliers d'entre eux...”».

Dans son analyse, Bruno Jeudy insiste sur l'importance dans la campagne de la phrase de Nicolas Hulot confiant avoir songé à faire un tandem avec Jean-Louis Borloo. Seulement, les sondages intervenus après cette phrase n'ont pas démenti les sondages l'ayant précédée.

Dès lors, ne serait-ce pas plutôt le très faible échantillon de sympathisants Verts (environ 100 personnes) qui serait en cause? «C'est un échantillon faible mais l'écart dans les résultats était large», explique le rédacteur en chef du service politique du JDD. Il précise que l'Ifop ne l'a jamais mis en garde contre une possible fragilité des résultats, «alors que cela arrive qu'ils donnent des consignes de prudence».

Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département Opinion et stratégies d'entreprise à l'Ifop, prend soin de ne pas mettre en cause le Journal du Dimanche, mais explique: «Chacun fait son travail. Les médias manquent parfois de prudence ou de nuance. Mais vous savez ce que c'est qu'une rédaction. Il y a une nécessité de faire parler, de faire du bruit. Nous, on n'a jamais dit que la primaire était torchée.»

Quand on relit le sondage, on peut lire, en petit, quelques renvois avec cet astérisque: «Effectifs inférieurs à 40 individus: ces résultats sont à interpréter avec prudence en raison de la faiblesse des effectifs.» Les quelque 100 sympathisants d'Europe Ecologie ne sont pas concernés par cette consigne. Dans le commentaire, il n'est pas non plus rappelé que les sympathisants ne sont pas les votants pour la primaire. «On ne peut pas sonder un corps électoral de 30.000 personnes», se justifie Jérôme Fourquet. Mais pourquoi sonder dans ce cas? Jérôme Fourquet explique: «Pour toutes les primaires des dix dernières années, il y avait une grande similarité entre les déclarations des sympathisants et les résultats du scrutin. C'est la première fois que cela ne marche pas.»

Hors de question de remettre en cause la méthode et la faiblesse des effectifs; la meilleure preuve étant que pour les primaires Vertes, «tous les instituts obtenaient le même résultat». Comment les instituts pourraient-ils tous s'être trompés ?

Jérôme Fourquet préfère insister sur son analyse politique: les votants auraient changé d'avis récemment... «Nicolas Hulot était un candidat médiatique qui devait assurer un score à deux chiffres. Au début, certains sympathisants Verts, alors que leur tropisme idéologique aurait dû les conduire à voter pour Eva Joly, se disaient qu'un carton électoral valait bien quelques entorses idéologiques.» Seulement, d'après l'Ifop, «les derniers sondages ont montré que pour la présidentielle, comparativement, Nicolas Hulot ne faisait pas un meilleur score qu'Eva Joly. Ils recueillaient tous les deux 6,5% d'intentions de votes.» Dès lors, il n'y aurait plus eu de bonne raison de voter Hulot.

On résume: les sondages étaient erronés car les sympathisants verts ont failli voter en fonction de sondages (sur les cotes de popularité notamment). Heureusement, un sondage les a remis dans le droit chemin. On est sauvés. Personne ne s'est trompé.

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