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Désirs d'Avenir 76

Les gardes rouges de la maison rose

18 Août 2009 , Rédigé par Yvon GRAIC Publié dans #Actualité

Menace d'exclusion de Manuel Valls, enterrement du rapport sur les primaires : «C'est la RDA», tonne Arnaud Montebourg. Excessif ? Sans doute. Mais pour beaucoup de socialistes aujourd'hui, l'attitude de l'équipe Aubry n'est pas sans rappeler celle de la Place-du-Colonel-Fabien au début des années 1980

C'est la couleur de l'été : depuis quelques semaines, les socialistes ne voient plus la vie en rose mais en rouge ! La métaphore communiste n'a jamais été autant utilisée pour décrire la vie quotidienne rue de Solférino. «Le Parti socialiste est entré dans une ère de brejnévisation. On perd et on continue comme avant. Vous allez voir, bientôt on ostracisera les voix discordantes en expliquant qu'elles relèvent de la trahison», prophétisait Gérard Collomb dans nos colonnes, au lendemain des européennes. Avec l'affaire Manuel Valls, sommé par Martine Aubry de se taire ou de prendre la porte, on n'en est pas si loin.
Déni de réalité, baisse des effectifs, défaites à répétition et maintenant menaces, à peine voilées, d'exclusion ! A en croire plusieurs élus socialistes, comme le député de la Nièvre Gaëtan Gorce, le PS serait en train de se claquemurer dans un champ de ruines. Comme le PCF il y a vingt ans. Sinistres références... «C'est la RDA !», a lancé Arnaud Montebourg, ivre de rage de voir que Martine Aubry avait tout bonnement enterré le rapport qu'il venait de lui remettre sur l'organisation de primaires pour désigner le prochain candidat socialiste à la présidentielle.

La politique de l'autruche
Excessifs, les nouveaux dissidents de la rue de Solférino ? Sans doute. Le PS et le PCF n'ont jamais partagé ni les mêmes idées, ni les mêmes pratiques, ni les mêmes valeurs. Et pourtant, le parallèle a été esquissé, juste après la débâcle des européennes, par deux spécialistes en la matière : Francis Chouat, un ancien du PC devenu depuis membre de la direction du PS, et Charles Fiterman, ancien ministre communiste des Transports, reconverti en militant socialiste depuis dix ans. Que se sont dit les deux hommes en se croisant ce jour- là dans les couloirs du conseil national ? «Que ça nous rappelait le Parti communiste en 1984...», raconte le premier. Le PCF venait de se ramasser aux élections européennes, récoltant le plus petit score de son histoire : 11,2%. Tous les signaux étaient au rouge, mais le comité central choisissait de faire la politique de l'autruche. Incapable de se remettre en question, Georges Marchais préférait attribuer la défaite à l'abstention, aux manipulations d'un diable rose nommé François Mitterrand et, bien sûr, aux manoeuvres ourdies, au sein de l'appareil, par des comploteurs qui avaient l'audace de se proclamer rénovateurs...
Un provocateur patenté
Autre parti, autres moeurs ? Depuis le scrutin européen, les socialistes attendent toujours une analyse politique de leur défaite. Lors de ce fameux conseil national, ils ont écouté sans ferveur le discours de la première secrétaire, qui avait déclaré un peu plus tôt que si la campagne était à refaire, elle referait... exactement la même ! Au bout de deux heures, il ne restait plus que 38 courageux sur les 350 présents à l'ouverture des débats. «La preuve que le parti est malade, c'est qu'il n'y a plus personne !», a lancé Gérard Collomb à la tribune.
Un mois et demi plus tard, le schmilblick n'a pas avancé d'un pouce ! Le 7 juillet dernier, les socialistes se sont de nouveau réunis. A Marcoussis, ils ont discuté de la situation du pays et de leur projet. Mais toujours pas des sujets qui fâchent... Prudent, le cabinet Viavoice, chargé par la direction du PS d'éplucher 1 737 contributions de militants, avait retranché de son compte- rendu tous les commentaires qui pouvaient concerner les élections, le fonctionnement du parti ou encore les primaires. Arnaud Montebourg s'en est étonné durant les débats. Il attend toujours sa réponse...
Gare à celui qui ose mettre les pieds dans le plat ! Provocateur patenté, Manuel Valls, qui multiplie les critiques contre la direction, appelant même à ? une «insurrection militante», en a fait les frais. «Tu donnes l'impression d'attendre, voire d'espérer la fin du Parti socialiste», lui a écrit la première secrétaire la semaine dernière. Voilà le «rénovateur» accusé, au fond, de se comporter comme un vulgaire «liquidateur» ! L'argument n'est pas neuf. C'est à peu près celui qu'employait Georges Marchais dans les années 1980 pour museler son opposition interne.
La méthode employée par Martine Aubry fleure bon les campagnes ad hominem d'un autre âge. Rédigée en tout petit comité pour flatter un appareil socialiste que les sorties du maire d'Evry exaspèrent, la lettre a été transmise au «Parisien» en même temps qu'elle arrivait sur la boîte mail de son destinataire. Dès le lendemain, dûment chapitrés, les gardes roses se sont mis à l'oeuvre. Haro sur le «renégat», coupable de n'avoir «jamais de formules assez louangeuses pour Nicolas Sarkozy, pour sa politique de sécurité ou d'immigration, et jamais de formules assez dures contre son propre parti», selon les mots d'Harlem Désir. Pour l'occasion, même les fabiusiens, qui avaient pourtant copieusement transgressé les directives du PS lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005, ont goûté ce retour à la discipline. «Le parti n'est pas une auberge espagnole», a dégainé le député de Seine-Saint-Denis Claude Bartolone, à l'adresse de son collègue d'Evry, qui est d'origine catalane.
En vase clos
«Au-delà du cas de Manuel Valls, la lettre avait valeur d'exemple», assume aujourd'hui François Lamy, premier lieutenant d'Aubry. Voilà les autres «liquidateurs» prévenus. Qui seront les prochaines victimes du complot des blouses roses ? Vincent Peillon ou Arnaud Montebourg sont déjà dans le collimateur. Mais au Parti socialiste, où l'ana- thème est devenu monnaie courante, personne n'est à l'abri. Pas même les gros poissons ! Le 7 avril, lors du bureau national qui a suivi la réunion du G20 à Londres, Pascal Cherki, un représentant de l'aile gauche du PS, a expliqué que non seulement le sommet international n'avait rien changé, mais que le pire, c'est que des «camarades» s'étaient prêtés à cette mascarade. «Il faudra s'occuper d'eux», a-t-il lancé, visant implicitement le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, et celui de l'OMC, Pascal Lamy. Ce jour-là, la première secrétaire l'a pris sur le ton de l'humour : «Qu'est-ce qui lui prend ? C'est le printemps qui lui fait cet effet-là ?», s'est-elle contentée de répondre.
Car Martine Aubry n'est évidemment pas seule comptable des dérives de sa «vieille maison». Les dernières élections au congrès de Reims l'ont montré, le Parti socialiste n'est qu'une démocratie de façade, où les votes traduisent autant l'influence des barons que la volonté des militants. Depuis dix ans, il fonctionne en vase clos. Tout s'y décide en petit comité. Ses instances de direction, bureau national ou secrétariat national, ne sont là que pour entériner les décisions. On y parle pour exister plus que pour être entendu. «Personne ne dit réellement ce qu'il pense. On est sur des modes d'expression tactiques, où seul compte le positionnement personnel, même si chacun prend soin d'appuyer son propos en expliquant que c'est ce qui ressort très clairement de sa dernière réunion de section...», se désole un participant. Les apparatchiks parlent aux apparatchiks.
«Le PCF avait une bureaucratie interne, là, c'est plutôt une nomenklatura d'élus, implantés dans des circonscriptions en béton, membres de la direction depuis toujours. Rien ne les conduit à se remettre en question. C'est toujours la faute des autres, des médias, de ceux qui s'expriment à l'extérieur», juge le député de la Nièvre, Gaëtan Gorce.

Des textes qui fâchent
Le problème, c'est que cette interdiction de critiquer le parti à l'extérieur se double parfois d'une interdiction de débattre à l'intérieur. Les rapports qui font tache sont enterrés illico. Il y a quatre ans, un rapport de Malek Boutih sur l'immigration, jugé trop sulfureux, n'avait même pas été présenté au bureau national. Aujourd'hui, celui d'Arnaud Montebourg sur les primaires connaît le même sort. Interdit de séjour à la prochaine université d'été de La Rochelle, ce document de 74 pages n'a pas fait l'objet d'une seule ligne dans «l'Hebdo des socialistes», qui est un peu au PS ce qu'était la «Pravda» au PC soviétique. Il faut s'armer de patience pour le dénicher sur le site internet, où s'étalent dès la page d'accueil plusieurs tribunes d'opposants aux primaires, reprises in extenso !
Aux textes qui fâchent, le PS préfère les chiffres qui rassurent. «Comme au bon vieux temps du Gosplan, nous avons le culte de l'objectif quantitatif», raille un membre de la direction. L'URSS fixait à l'avance sa production de blé ou de charbon. Le PS, lui, annonçait au lendemain de la publication de son contre-plan de relance 1 000 initiatives pour «agir contre la crise». Las ! La carte interactive disponible sur son site web n'en recense qu'une centaine. Et le journal de bord, qui devait permettre de suivre l'avancement de l'opération, est resté désespérément vide depuis janvier ! Le PS se promettait aussi de récolter un million de signatures pour l'abrogation du bouclier fiscal. Beaucoup manquent à l'appel. Comme les électeurs ?

 
Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur

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L
Simple militant du sud de l'Eure, je suis triste. Le courant ne passe plus entre les différents membres des éternels "courants". Le parti est en déconfiture. Le combat des chefs ne nous intéresse pas. La solution viendra de la base qui doit s'exprimer d'urgence, section par section puis département par département et la haut à Solférino ils devront tous faire ce qu'on leur dira, sinon on partira ailleurs. 
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